Pour réussir l’opération Torch, il ne faut négliger aucun détail. Si l’hypothèse du « convoi sacrifié » est juste, le SL 125 est l’un de ces grains de poussière qui devait contribuer à la réussite de cette entreprise capitale et très audacieuse. C’est un leurre dont il faut alors s’assurer qu’il sera vu et attaqué par les U-Boote. L’ennemi doit absolument savoir que le convoi remonte le long des côtes africaines pour gagner l’Angleterre. Il doit en connaitre l’itinéraire et la progression mais ce n’est pas tout, il doit aussi être persuadé qu’il mérite d’être attaqué ! Les sous-marins pourraient en effet négliger une proie trop grosse pour eux, trop rapide ou ne présentant aucun intérêt.
Comment s’assurer que l’ennemi recevra la bonne nouvelle et en tiendra compte ? Il est fort probable que les allemands apprennent alors combien de navires composent le convoi, combien d’hommes sont à bord, quelle en est la cargaison et quand il doit arriver dans la zone. Comment est délivré cette information ? Par qui ? Où ? Quand ? Est-ce seulement un message qui « fuite » ou bien plusieurs indices concordants qui parviennent aux oreilles des allemands ? Est-ce que les cerveaux de Torch se sont contentés d’échanger par radio en étant certains que leurs conversations étaient entendues par l’ennemi ? Ou bien ont-ils eu recours à des informateurs de terrain ?
Les espions dispersés ont-ils plutôt transmis ces informations secrètes et détaillées par bribes à leurs homologues allemands ? Quels individus ont éventuellement participé à cette entreprise de diversion ? Où étaient-ils et comment ont-ils fait ? Les hypothèses ne manquent pas. Certains des espions alliés de cette période sont connus de longue date. Au fur et à mesure que les archives ont été dé-classifiées, d’autres noms sont apparus, côté anglais ou américains, de ces agents de l’ombre qui ont parfois oeuvré durant toute la guerre sans que l’ennemi ne les soupçonne.
L’un des espions les plus connus est William Alfred Eddy que certains ont appelé le « Lawrence d’Arabie » américain. Fils de missionnaires presbytériens, Eddy est né au Liban en 1896. Cet agent à la couverture imparable est lui aussi officiellement missionnaire mais il est en fait tour à tour militaire, espion et diplomate. Arabophone et fin connaisseur du monde musulman, il devient attaché naval au Caire en 1941 avant d’être envoyé à Tanger, au Maroc, pour tenter de sécuriser les régions d’Afrique du Nord menacées par les Allemands. Selon les sources, on apprend qu’Eddy aurait été l’instigateur d’« attentats à la voiture piégée, de sabotages, de séries d’assassinats et d’intimidations » ou qu’il aurait été recruté pour « mettre à profit sa connaissance du Coran, ses années de pratique de la langue arabe et ses partenariats avec les dirigeants musulmans pour préparer le terrain à l’opération Torch ».
Dans la biographie qu’il lui a consacré, le journaliste américain et spécialiste du Moyen-Orient, Thomas Lippman explique même que le travail de renseignement d’Eddy a été l’une des clés du succès de l’opération Torch ! Mais Lippman nous a affirmé qu’à sa connaissance William Eddy n’était en rien impliqué dans une éventuelle opération de diversion du SL 125… Afin de mieux comprendre, nous irons interviewer Thomas Lippman ainsi qu’Andrew Buchanan, un autre grand historien spécialiste de la période et auteur de l’ouvrage « American Grand Strategy in the Mediterranean during World War II ».