5 – L’avis des historiens

Le 22 Mar 2023

Cale de bateau dans un port

Aucun responsable politique de l’époque n’est jamais revenu sur la thèse officielle selon laquelle seul le hasard a placé les navires civils du convoi sur la route des U-Boote. Seule la phrase sibylline de Winston Churchill pourrait laisser croire que le passage du convoi, à cette date, était programmé dans le cadre de l’opération Torch. On pourrait donc penser que la thèse du « convoi sacrifié » n’est qu’une affirmation audacieuse émanant d’auteurs peu crédibles. Depuis 70 ans, moins d’une dizaine d’historiens ont osé affirmer que le convoi SL-125 était bien un piège tendu aux sous-marins allemands par les alliés. On trouve pourtant, parmi eux, des spécialistes reconnus de la Seconde Guerre Mondiale. Certains sont même les historiens officiels de l’histoire maritime britannique ou canadienne. D’autres sont des écrivains de renom qui ont toujours puisé aux meilleures sources les trames de leurs récits. 

  1. L’historien Shawn Cafferky a travaillé pendant près de 20 ans pour le « Directorate of History and Heritage », au sein du Ministère de la Défense Nationale à Ottawa. Ce jeune universitaire, décédé prématurément, travaillait à l’écriture de l’Histoire Officielle de la Marine Royale Canadienne. Enseignant également au Royal Military College of Canada, il est l’auteur d’un ouvrage particulièrement riche en informations sur l’opération Torch (« A useful lot, these canadian ships » – The royal canadian navy and operation torch, 1942-1943). S’il ne prend pas partie, Cafferky explique avec précision comment le convoi SL-125 a détourné les forces allemandes de l’objectif principal : « Le gros des troupes britanniques de l’opération Torch est parti de Loch Ewe le 25 octobre 1942 à destination d’Oran et Alger. Accompagné des convois d’assaut KMS-1 et KMF-1 qui partirent presqu’en même temps, le KMS-2 fit route très au large par 26° W de longitude. En dépit de cette trajectoire trompeuse, les avions et sous-marins ennemis auraient pu apercevoir le convoi à de nombreuses reprises mais, par chance, la majorité des sous-marins du groupe Battleaxe étaient occupés à attaquer le convoi SL-125 qui était sur le chemin du retour en Europe. Cela permit aux convois de l’opération Torch d’atteindre sans dommage le détroit de Gibraltar ».Schawn Cafferky ne dit donc pas que le convoi SL-125 avait volontairement croisé la route des sous- marins allemands. En évoquant la trajectoire originale des navires de l’opération Torch, il laisse cependant penser qu’elle était sciemment calculée.
  2. Le capitaine Stephen Wentworth Roskill (1er août 1903 – 4 novembre 1982) était un officier de carrière de la Royal Navy, ayant servi pendant la Seconde Guerre mondiale. Après sa retraite forcée pour raison médicale, il devint l’historien officiel de la Royal Navy de 1949 à 1960. Il est aujourd’hui reconnu comme un prodigieux auteur de livres sur l’histoire maritime britannique. Le volume « The War at sea » de son « History of the Second World War » est un ouvrage de référence sur l’opération Torch. Le passage concernant le convoi SL 125 corrobore la version des faits admise par la plupart des autres historiens. Roskill écrit: « Les forces maritimes britanniques (de l’opération Torch) comprenaient en tout environ 340 navires et chaque unité devait descendre à la latitude de Gibraltar selon un ordre bien établi avant de passer le détroit à l’est, entre le 5 octobre à 19h30 et 4h du matin le 7 octobre. La traversée de l’océan s’est déroulée sans problèmes surtout parce que le seul groupe de sous-marins situé dans la zone de Gibraltar avait été attiré par hasard (fortuitously) par un convoi venu du Sierra Leone qui passait à l’est et au nord de la flotte alliée entre le 27 et le 30 octobre. Tandis que les navires de commerce subissaient de lourdes pertes, les trois groupes de la flotte KMS1 et 2 et KMF1 se faufilaient sans dommage. Le commandant du convoi SL-125 confiera plus tard à l’auteur que c’était la première fois qu’il fût félicité pour avoir perdu des navires… ». 

D’autres auteurs moins prestigieux ont repris à leur compte la thèse du « convoi sacrifié ». Alan Burn, dans l’ouvrage « The fighting commodores », y consacre tout un chapitre intitulé « The bait convoy » (le convoi-appât). Dans « Smithy’s war », l’historien australien amateur Robert Borg raconte les expériences maritimes d’un dénommé Leslie George Smith, marin engagé à bord du navire Anglo-Maersk qui faisait partie du convoi SL 125 et fût coulé par le même sous-marin allemand que le Président Doumer, le U-604. Selon les dires de son héros, l’auteur indique également que « Le convoi a été sacrifié pour permettre à l’opération Torch d’être épargné par les torpilles des sous-marins allemands ».