9 – L’inconnu des Canaries

Le 22 Mar 2023

John Lee accompagné de sa famille

Oublié le SL 125 ? Oui, comme une multitude d’autres faits plus ou moins importants qui se sont déroulés entre 1939 et 1945, l’épopée du convoi a bel et bien disparu dans les oubliettes de l’Histoire. Le temps passe, les acteurs disparaissent et la mémoire de leurs proches et descendants s’estompe peu à peu. Seuls les historiens peuvent désormais exhumer un détail pour nous rappeler la force et l’importance du passé.

C’est grâce à la ténacité de l’un d’entre eux, Oscar Fumero, que la tragédie du SL 125 a fait la Une des journaux en Espagne et en Écosse, le 20 mai 2022. Ce jour-là, la famille d’un militaire écossais tué lors de l’attaque du convoi a enfin pu se recueillir sur sa tombe. Originaire de Glasgow, John Lee, servait comme artilleur dans le régiment maritime de l’artillerie royale. Âgé d’à peine 22 ans, il était embarqué sur le paquebot français President Doumer qui avait été réquisitionné en 40 et affecté au transport des troupes. À l’aide de témoignages oculaires retrouvés dans les archives, Oscar Fumero a pu déterminer que lors de l’évacuation du navire  John avait refusé de monter dans les canots de sauvetage pour laisser de la place aux autres marins mais qu’il avait mal évalué la distance en sautant et avait été écrasé entre le canot de sauvetage et le navire. Son corps est l’un des rares qui ait été retrouvé après la catastrophe. Il s’est en effet échoué sur la plage de Las Goteras à La Palma dans les îles Canaries en mars 1943, soit 5 mois après sa mort. Les habitants de ce coin de la côte est de la Grande Canaries ont alors donné une sépulture au malheureux. Pour 100 pesetas,  en 1951, le consulat britannique a acheté le coin du cimetière de Villa de Mazo où repose son corps, devenu ainsi une « terre britannique ». Au fil des ans, plusieurs hommages ont même été rendus au soldat, le plus récent en 2018 pour marquer le 75e anniversaire de la découverte de son corps. Mais jusqu’à cette date, nul ne savait qui étaient ses descendants ni où ils se trouvaient. Oscar Fumero les a retrouvés avec l’aide du Consulat Général britannique. « Je voulais mettre un visage sur John, dit-il, savoir sur quel navire il se trouvait, rencontrer sa famille, alors j’ai cherché et continué à chercher. J’ai passé des heures, des jours, des mois à fouiller, jusqu’à ce que je trouve, dans un forum de soldats morts au combat, la pierre tombale que le père de John avait érigée en sa mémoire. Elle contenait, outre des informations sur le soldat, des données sur le décès de Martha et Henry, ses parents, et d’autressur sa sœur, Agnes, qui était décédée alors qu’elle n’avait que 16 ans. J’ai alors informétoutes ces informations au consul et à partir de là, tout a été plus facile ».

Mary Hastie se recueille devant la tombe de son oncle
Mary Hastie se recueille devant la tombe de son oncle

La famille de John, ce n’est plus aujourd’hui que sa nièce, Mary Hastie, 75 ans, qui a fait le voyage depuis Bearsden, dans l’East Dunbartonshire : « J’ai trouvé cela très émouvant, car j’ai découvert tout ce que j’ai pu savoir sur l’histoire de mon oncle. Je ne suis née qu’après la guerre et on n’en parlait pas à la maison. Mes deux parents sont morts relativement jeunes et j’ai pensé que je ne découvrirais jamais la véritable histoire ni l’île sur laquelle John a été enterré. J’ai donc été surpris lorsqu’un parent lointain et inconnu m’a contacté pour me dire que le bureau du consulat en Espagne me recherchait. C’est alors que j’ai commencé à obtenir des détails sur l’endroit où se trouvait la tombe et j’ai senti que je devais venir à La Palma car je suis le dernier membre survivant de la famille Lee ».

En ce 20 mai 2022, Goretti Perez Corujo, maire de Villa de Mazo, a déclaré : « John Lee a fini par faire partie de l’histoire de Villa de Mazo, devenant l’un des locataires connus et aimés du cimetière de San Blas.La façon dont il est apparu sur la plage, mutilé, a provoqué une peine encore plus grande chez les habitants de notre commune. Il est vraiment touchant et beau que depuis lors, sa tombe soit toujours entourée de fleurs ».

Pour fleurir la tombe de son grand-oncle, Mary a amené d’Angleterre un coquelicot géant en céramique provenant de l’exposition des douves de la Tour de Londres en 2014. Il est désormais accroché au mur derrière la tombe de John qui, désormais, n’est plus un « soldat inconnu »…